Yves nous livre ce sympathique souvenir d’enfance qui nous montre à quel point nos relations avec les animaux sont marquées par les rencontres du jeune âge. Cette histoire montre aussi que l’homme peut rester fidèle à l’enfant qu’il était.
Lorsque j’avais une douzaine d’années j’avais tiré avec ma carabine sur un corbeau freux. Il était tombé comme une pierre. J’étais content de l’avoir descendu et fier de mon habileté.
La pauvre bête avait juste une aile cassée. J’étais content qu’il soit encore vivant et fier de le soigner en lui confectionnant une attelle.
Je l’avais mis dans une petite cage et il avait accepté de manger et de boire. Au bout de quelques jours, il n’était plus craintif. J’étais content qu’il se soit adapté à sa condition captive et fier de le nourrir.
Au bout d’un mois j’ai défait son attelle. J’étais content que ses os se soient bien ressoudés et fier de l’avoir guéri.
Après une semaine de réadaptation au vol à travers le garage, j’étais content qu’il ne soit plus handicapé et fier de ressembler à un vrai fauconnier.
Nous nous étions attachés l’un à l’autre et je voulais qu’il retrouve sa liberté. Je l’ai posé sur la branche d’un arbre du jardin mais il ne voulait pas partir. Il a fallu que je lui fasse peur pour qu’il prenne son envol. J’étais content de le voir disparaître à l’horizon vers sa nouvelle vie et j’étais fier d’avoir sauvé un être vivant.
Ma mère m’a dit : « Ce que tu fais là est complètement absurde ! »
Non, soixante ans après, je n’ai pas changé !
Bien qu’angoissé par la disparition de la biodiversité, je vais toujours à la chasse. Mon chien cherche avec passion le gibier dans les fourrés et me ramène le perdreau dans sa gueule, les yeux pétillants de fierté.
Lorsque je découvre, dans ma couveuse, des petits poussins venant d’éclore, je suis, comme un enfant, toujours émerveillé par ce miracle.

Donner la mort, donner la vie, j’ai l’impression d’être le Bon Dieu.
Yves ABATE